BARRETTALI :
SANCTUAIRES PALEOCHRETIENS ET PREROMANS PROBABLES. A CRONICA n°11 p24 Cette étude est la suite naturelle
de celle du numéro précédent (1) . En
effet dans ce dernier il a été traité
de tous les édifices religieux connus aujourd'hui.
Mais un vide reste, celui de l'antiquité et du haut
moyen-âge. Car il ne reste aucuns vestiges
découverts à ce jour à
Barrettali. Les premières traces de
construction d'églises en Corse remonteraient au
4ème siècle de notre ère (2). A cette
époque les évêchés
s'implantèrent dans les " cités " romaines qui
existaient en Corse. On pense que leur nombre était
supérieur aux cinq ou six qui subsistèrent au
moyen-âge. Dans la Corse rurale, chaque vallée
ou " pieve " (3) eut une église destinée
à baptiser les populations de ces territoires
côtiers et de l'intérieur. C'est ainsi que
naquirent les premières églises dites
piévanes ou " piévanies ", qualifiées
parfois de " chiese matrici ". Elles étaient
regroupées sous la juridiction des
évêchés et se situaient en
général dans le centre administratif de la
vallée, le " pagus " romain. La "pieve" religieuse
correspondait à une circonscription administrative
qui devint le canton. En 1530 (4) il y avait 66 "pievi", les
"pievi" paléochrétiennes auraient
été plus nombreuses (5). Pour le Cap en
particulier, chaque micro-vallée a pu être une
"pieve" primitive. En effet le Cap a toujours eu une
activité économique importante qui doit
remonter à l'antiquité. Chaque marine devait
être une escale et un centre commercial entre la
vallée et le continent proche. A cause de cette
activité, on peut concevoir que chaque micro
vallée ait pu être aussi peuplée, qu'une
vallée plus grande en superficie du reste de la
Corse. La densité de l'habitat du Cap au cours des
âges pourrait en apporter la preuve. Deux autres
éléments confirmeraient la thèse d'une
"pieve" par vallée cap corsine : d'une part la
plupart des communes ont un nom que ne portent aucuns des
villages qui la constituent, et ce nom pourrait être
celui de l'ancienne "pieve" ; d'autre part, presque toutes
les communes possèdent un couvent; et l'on sait qu'il
y avait un couvent par piève en Corse. Pour en revenir à Barrettali,
même si des chapelles comme San Matteo ou San Martino
(7) sont certainement très anciennes, en l'absence de
vestiges parlants ou de documents d'archives, on ne peut
affirmer qu'elles datent du paléochrétien ou
du haut moyen âge. Dans la commune, deux habitats seraient
d'origine romaine, ou du moins auraient existé
à cette époque: ce sont les villages de
Conchiglio et Minerbio. Pour ce dernier, la légende
(8) parle d'un temple qui aurait été
élevé en l'honneur de la déesse
Minerve, à l'emplacement de l'église actuelle
de Ste Catherine. Cette dernière a remplacé
une ancienne chapelle en 1875. Il est fort probable que s'il
y a eu un temple païen, l'Eglise ait pu construire une
chapelle sur le même emplacement (9). En ce qui concerne Conchiglio et plus
particulièrement le hameau de l'Annonciade, on peut
supposer qu'il y avait là la petite
agglomération du temps de Rome. En effet l'actuelle
église paroissiale de Conchiglio, située dans
ce hameau, est l'ancienne chapelle agrandie du couvent de
servites, construite vers 1570 et aujourd'hui en ruines. Le
couvent et sa chapelle ont été construits sur
le site ou à proximité de l'ancienne
église "SSa Annonziata ", mentionnée en 1210
sur un inventaire des biens en Corse, appartenant aux
Bénédictins de la Gorgona ; l'enclos et les
parcelles au nord de l'église portent le nom de "
Cappella ". Non loin de là un lieu-dit " Annunziata "
jouxte un ancien cimetière. Un site proche
appelé " Croce ", pourrait être le lieu
primitif du sanctuaire paléochrétien. Ce
dernier lieu domine la marine de Giottani (certainement
fréquentée dans l'antiquité), comme
à Minervio, il y a là une ancienne aire et un
calvaire. Tout près, des chapelles funéraires
longent l'ancien chemin marine-montagne près de
l'embranchement du sentier muletier menant à Canari,
la commune voisine ; ce carrefour étant à
l'origine du nom de " Croce " donné à ce
lieu-dit. Sur ce chemin bordé de tombeaux et passant
par le couvent, il y avait l'ancienne chapelle de San
Antonio. Le petit cimetière actuel se trouve
près de l'emplacement de cette chapelle. Tous ces éléments
font penser à un site possible d'une piévanie
paléochrétienne. Si cela était le cas
nous aurions eu avec le temps déplacement de
l'édifice primitif du sud-ouest vers le nord-est, en
partant du lieudit " Croce ", passant par le lieu-dit "
Annonziata ", pour aboutir au site actuel de l'église
paroissiale de l'ancien couvent. Le premier emplacement
étant un lieu dominant, situé sur des rochers,
les autres perdent peu à peu cette fonction, pour se
rapprocher des belles terres du plateau de
Conchiglio. N'oublions pas que cette terre de
Conchiglio à été revendiquée et
acquise en 1269 par l'évêque de Nebbio, qui
porta par la suite le titre de Comte de Conchiglio (10).
J'ai parlé de San Matteo dont seul le toponyme a
subsisté. Cette chapelle située probablement
sur l'ancien chemin marine-montagne (Giottani Pinzu a
Verghjine) vers Luri et non loin de l'ancien village de
Balsce (11) abandonné au 16ème ou 17ème
a pu être romane, préromane ou plus ancienne
encore. San Martino, sous le village de
Mascaracce, était, d'après les pierres de
remploi retrouvées sur les lieux, une chapelle romane
ou préromane. Il reste enfin les deux églises de
St Pantaléon et de Sta Maria (actuelle
confrérie de Ste Croix), voisines l'une de l'autre et
séparées par l'antique " Arca ". Ces deux
édifices seraient également très
anciens. Si Barrettali a été
"pieve", on peut supposer que la piévanie primitive
était située à Conchiglio, plus
précisément au hameau de l'Annonciade. Il
n'est pas impossible que par la suite ce fut San Martino,
San Pantaléon, ou Sta Maria qui devint
piévanie médiévale (12). Rappelons tout de même que depuis
l'époque pisane ou la fin du moyen-âge (sans
pouvoir le préciser), Barrettali dépend de la
piève de Canari. L'église Sta Maria Assunta a
pu être piévanie paléochrétienne,
même si elle a pu être située plus
près de la mer à l'origine. Contrairement
à la plupart des communes du Cap, Canari ne forme pas
une vallée, mais un plateau en pente douce
suffisamment important et riche pour avoir pu abriter et
nourrir une communauté importante dans
l'antiquité et au moyen-âge ; le site proche de
" Cannelate ", mentionné par Ptolémée,
pourrait le confirmer. Néanmoins, l'existence d'une
"pieve" primitive à Canari, n'enlève pas la
possibilité d'une autre "pieve" antique à
Conchiglio pour Barrettali. C'est sans doute au
moyen-âge, lors de la Renaissance de l'Eglise en Corse
avec Pise, ou peu après, qu'un regroupement des
pièves religieuses a pu se faire. C'est alors que
certaines piévanies primitives
disparurent. En résumé, si l'on
n'a aucunes preuves de l'existence de sanctuaires
paléochrétiens à Barrettali, on peut
tout de même supposer qu'il y ait eu à cette
époque une piévanie à Conchiglio et
peut-être trois ou quatre chapelles primitives ou "
monachie " comme on les appelait alors. Il y en aurait eu
une à Minerbio (13) , et les autres à
Barrettali même, c'est à dire San Matteo. San
Pantaleone, Sta Maria et San Martino, l'une des trois
dernières ayant pu être la piévanie
médiévale. Maurice
Mattei 1 Cf: " A Cronica " n°1O
p2 2 Suite à l'Edit de Milan en 313,
de l'empereur Constantin 3 Subdivision territoriale qui aurait
existé avant l'arrivée de l'église,
d'après le " Dizzionario di Toponomastica ", qui
donne pour la "pieve" l'origine suivante : " Distritto
rurale, corrispondente alle antichi circoscrizioni italiche
pagane "... 4 Cf: " Description de la Corse " de Mgr
Giustiniani 5 Mme Moracchini Mazel en a
recensé 120 à ce jour 6 C'est le cas de 21 ou 22 communes sur
24 que compte le Cap géographique (incluant les
pièves de Lota et Patrimonio). Il n'y en a que 20
pour tout le reste de la Corse ( 15 en Hte Corse et 5 en
Corse du Sud) 7 Cf: " A Cronica " n°1O
p2 8 Cf: " A Cronica " n° 5 p22,
Minervio serait le seul toponyme en Corse relatif à
la déesse antique 9 Au bas du village, le lieu-dit " Aghja
Vecchja ", situé sur un promontoire dominant la mer,
près du chemin descendant à la marine de
"Salaghja" et marqué par un calvaire, semblerait plus
propice à l'implantation d'un temple consacré
à Minerve et par la suite à un sanctuaire
paléochrétien. Le monte Minerbio,
couronné par le " Castrum Minerbii "
médiéval, a pu être également un
site probable pour le temple de la déesse 10 Cf: " A Cronica" n°3 p20. On ne
connaît pas les raisons de la revendication d'Arrigo,
évêque de Nebbio, en 1269, mais si Guglielmino
da Mare, seigneur de Pino et de Barrettali, a
été contraint de faire cette donation, c'est
probablement que cette enclave de Conchiglio a dû
appartenir à l'Église autrefois, ou du moins
que cette dernière avait certains droits sur ce
territoire. L'appartenance de la SSma Annonziata aux
Chartreux de la Gorgona en 1210 n'est peut-être pas
étrangère à cette
revendication 11 Cf: " A Cronica " n°10
p2 12 Lorsque l'on parlait de
propriétés de l'église de Barrettali on
les disait appartenir à San Martino et San
Pantaléon. San Martino cité en premier
n'indiquerait-il pas une prééminence sur St
Pantaléon? 13 Ste Catherine ou la chapelle qui a pu
succéder au temple s'il a existé. Une autre
ancienne chapelle San Antonio sur l'ancien chemin de Pino
à Barrettali près de Minervio et non loin de
l'embranchement du chemin de l'ancien village de Ficaghjola,
a pu être une " monachia "
Mairie de Barrettali
de juin 1996